Le mystère de la Chartreuse

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Le mystère de la Chartreuse

Bonjour à tous, bienvenue sur Pod’Vins, votre podcast 100% Vins, mais pas que, je suis Arnaud, j’espère que vous allez bien, et aujourd’hui nous n’allons pas parler de vin mais nous intéresser à une liqueur mystérieuse dont vous avez peut-être déjà entendu parler ou même goûter, un alcool qui a une histoire passionnante, c’est la Chartreuse.

Pourquoi s’intéresse-t-on aujourd’hui à la Chartreuse ? Et bien parce que c’est un alcool à part à plus d’un titre mais surtout parce que son histoire et son élaboration sont entourés du plus grand mystère, un mystère gardé comme un trésor inestimable par des moines dans un coin reculé de France. Tout ça a presque des airs de fiction et pourtant c’est aujourd’hui le lien improbable entre des moines qui suivent une règle stricte et les bars branchés des grandes métropoles où les cocktails à base de Chartreuse sont devenus tendance. Et pour comprendre ce qui s’est passé, il faut que je vous parle de la fabuleuse histoire de la Chartreuse.

Cette histoire, elle commence en 1084. Saint Bruno, après avoir dirigé longtemps la célèbre école cathédrale de Reims, et qui à l’époque n’est pas encore canonifié évidemment, part s’implanter avec six compagnons dans le « désert » de Chartreuse, près de Grenoble. Guidé par Hugues, évêque de Grenoble, il y part pour créer un ermitage et vivre loin du monde dans le silence, la solitude et la prière. Cet enfermement volontaire, nécessaire pour se rapprocher de Dieu, est un mode de vie extrême, qui pour beaucoup pourrait paraître une punition, un mode de vie et une règle stricte que suivent encore de nos jours les pères Chartreux.

L’ordre grandit et au 16eme siècle, avec plus de 230 chartreuses. Il est à son apogée.

Mais notre histoire, celle qui nous intéresse, commence véritablement en 1605. Les moines de la Chartreuse de Vauvert à Paris reçoivent des mains de François-Annibal d’Estrées, un des bienfaiteurs de l’Ordre, mais surtout le frère aîné de Gabrielle d’Estrées, l’une des maîtresses bien connue d’Henri IV, un mystérieux manuscrit qui contient une liste de plantes, de fleurs, de racines, de baies et d’écorces et une formule pour produire dit-on un Élixir de Longue Vie.

D’où vient ce document ? Que contient-il précisément ? Pourquoi le Maréchal d’Estrées s’en sépare ? Nul n’en sait rien.

Toujours est-il qu’il se retrouve dans les mains de ces moines Chartreux et qu’il contient une recette à base de plantes médicinales.

Mais la recette est complexe et les moines peinent à obtenir un résultat satisfaisant, jusqu’à ce qu’en 1737, le manuscrit soit transféré au monastère de la Grande Chartreuse, bâti entre temps, occupé par des moines qui sont bergers, fabricants de mâts pour les navires, forgerons, écrivains et où le frère Jérôme Maubec parviendra douze ans plus tard à en décrypter la formule et à élaborer en 1764 ce fameux « Elixir végétal de la Grande Chartreuse ».

Puis vient la Révolution française. En 1792, l’État décide de chasser les moines de la Grande Chartreuse, de Vauvert et de tous les monastères en France. Ils sont pourchassés et vont donc se disperser. Le manuscrit est conservé par le moine autorisé à garder le monastère et une copie emportée par un des pères, qui malheureusement se fait arrêter. Lors de son incarcération, il remet sa copie à un confrère, qui essaye de la déchiffrer sans succès et qui finit par la céder à un pharmacien de Grenoble, du nom de Liotard.

L’Empereur Napoléon Ier prend la curieuse décision d’exiger que tous les « remèdes secrets » soient soumis au ministre de l’Intérieur. Ce bon Liotard soumet donc la recette en 1810 au Ministère de l’Intérieur de Napoléon Ier, lequel la lui renvoie avec la mention « refusé » car jugée trop complexe et finalement pas si secrète que ça. Du coup, à la mort de Liotard, le manuscrit revient au monastère de la Grande-Chartreuse, que les moines ont pu réintégrer en 1816. Et la production reprend.

À partir de 1825, des écrits témoignent du développement d’un nouvel « Élixir de table ou de santé ». Cette nouvelle liqueur a des vertus médicinales censées aider à lutter contre la terrible épidémie de choléra qui frappe l’Europe en 1832. Mais les moines comprennent vite l’intérêt de développer cette liqueur.

Et en 1840, une nouvelle liqueur, la Chartreuse verte, est élaborée à partir de la recette originale et commercialisée sous le nom de liqueur de santé. Et c’est exceptionnel car cette liqueur ne contient pas de colorant. Et pourtant elle est verte. Encore aujourd’hui, on ne sait toujours pas réaliser de liqueurs vertes sans colorants, sauf cette mystérieuse Chartreuse.

La même année, la Chartreuse jaune, une version plus douce de la liqueur mais faite à partir des mêmes ingrédients, est commercialisée également.

En 1862, face à la croissance des ventes, le monastère devient trop petit pour la fabrication et le stockage de l’élixir et des Chartreuses verte et jaune. Une distillerie est alors construite sur le site de Fourvoirie à Saint-Laurent-du-Pont, non loin du monastère.

Mais le début du 20e siècle est marqué par un anticléricalisme fort et en 1901, il est décidé que qu’« aucune congrégation religieuse ne peut se former sans une autorisation donnée par une loi qui déterminera les conditions de son fonctionnement ». C’est la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Les chartreux n’obtiennent pas d’autorisation et sont expulsés de France deux ans plus tard, malgré les protestations de la foule dauphinoise qui s’y oppose.

La plus grande partie de la communauté se réfugie dans un monastère en Toscane mais l’autre partie emporte avec elle la recette de la liqueur et installe une nouvelle distillerie à Tarragone, en Espagne, où les moines se sont implantés. Ils commercialisent leur liqueur sous le même nom, avec une étiquette identique, en ajoutant cependant la mention « liqueur fabriquée à Tarragone par les pères chartreux ». Leur liqueur se fait connaître en France sous le surnom de Tarragone. Ils y resteront jusqu’en 1989 au point qu’encore aujourd’hui la ville espagnole et la Chartreuse sont intimement liées.

Pendant ce temps, en France, les biens des chartreux sont confisqués par le gouvernement, lequel essaie de faire fonctionner la distillerie de Fourvoirie en la confiant aux liquoristes de la Compagnie Fermière de la Grande-Chartreuse. Mais malgré plusieurs tentatives, la recette ne parvint jamais à être imitée.

Les Chartreux finissent par revenir en France mais n’ayant pas obtenu l’autorisation de réintégrer leur monastère et leur distillerie de Fourvoirie, ils s’installent à Marseille jusqu’à la fin des années 20 où le site de Fourvoirie pourra fonctionner de nouveau.

Malheureusement, une nuit de 1935, un éboulement ravage leurs installations de Fourvoirie. Les chartreux doivent trouver un nouveau lieu de production et un site à Voiron est alors choisi pour l’emplacement de la nouvelle distillerie puisque les moines y possèdent déjà une cave et un lieu de stockage.

Avec les « Trente Glorieuses », l’engouement pour la Chartreuse est à son apogée et les ventes sont en forte hausse. De nouvelles cuvées voient le jour comme la fameuse « Chartreuse Vieillissement Exceptionnellement Prolongé » en 1963.

Mais au début des années 80, les ventes de « Chartreuse Verte », qui représentent deux tiers des ventes s’effondrent. Mais les moines parviendront, en deux décennies, à relever la marque et à en faire un produit célèbre dans le monde entier, présent aussi bien dans un film d’Hitchcock que de Tarantino, dans de multiples romans ou encore d’avoir une chanson dédiée du groupe de rock ZZ Top. Aurait-on pu imaginer un lien entre des moines reclus qui dédient leur vie à la prière et le groupe ZZ Top ?

Et c’est ça la magie de cette boisson, une boisson aujourd’hui exclusivement produite en Isère, à Voiron jusqu’en 2018, puis pour des raisons de réglementations, aujourd’hui sur le nouveau site d’Aiguenoire à Entre-Deux-Guiers.

Et vous l’aurez compris, le mystère qui entoure la Chartreuse tient à sa recette originale et à sa méthode de fabrication. En effet, nous savons seulement qu’il s’agit d’un mélange de 130 plantes et d’herbes qui proviennent en partie du désert de Chartreuse mais aussi d’ailleurs, sans aucun additif artificiel comme on l’a dit.

Cette recette, conservée comme un trésor dans un lieu tenu secret, seuls deux pères Chartreux la connaissent. Et ce sont eux, dans une salle dédiée du Monastère, la salle des Plantes, qui trient ces plantes et réalisent le fameux mélange avant de l’envoyer à la distillerie, où les salariés chargés de la distillation, sous le contrôle à distance des pères chartreux, s’exécutent dans l’ignorance la plus totale de ce que contiennent les cuves.

Une fois la distillation effectuée, la liqueur vieillit, là encore dans le plus grand secret, dans des foudres de bois, avant d’être embouteillée. Et là encore, la Chartreuse possède une particularité exceptionnelle. C’est probablement la seule liqueur dans le monde capable de vieillir et de se bonifier au fil du temps, et ce même en bouteille.

Alors, il y a plusieurs liqueurs produites par les Pères Chartreux, ce qui représente chaque année environ 1 500 000 bouteilles, tous formats et tous produits confondus.

Vous avez les liqueurs traditionnelles, c’est-à-dire les liqueurs historiques élaborées par les moines chartreux depuis 1840 selon la même recette.

La Chartreuse verte qui titre 55 degrés et qui se déguste plutôt en digestif ou en cocktails.

La Chartreuse jaune, fabriquée avec les mêmes plantes que la Verte mais dans des proportions différentes, qui est plus douce et qui titre à 43 degrés.

Et L’Élixir végétal de la Grande-Chartreuse, élaboré selon la recette originale fournie en 1605, qui titre 69°.

Vous avez 4 cuvées spéciales, plus récentes. Ce sont des liqueurs d’assemblage, élaborées à partir des recettes des Chartreuse Jaune et Verte traditionnelles, comme le Liqueur du foudre 147, Liqueur du 9éme centenaire (créée en 1984 pour célébrer les 900 ans de la fondation de la Grande Chartreuse), la Cuvée des MOF cuvée née en 2008 de la collaboration des pères chartreux avec les Meilleurs Ouvriers de France sommeliers.

Des cuvées d’exception, les Chartreuse V.E.P.« Vieillissement Exceptionnellement Prolongé ».

Et enfin parfois des séries limitées célébrant des évènements.

Evidemment, au niveau gustatif, on trouve beaucoup de notes herbacées. La Chartreuse verte dégage des notes de menthe, de poivre, d’anis, d’agrumes, la chartreuse jaune a un goût plus doux, et révèle des parfums floraux, d’agrumes et épices.

Vous arrivez à en trouver un peu partout à partir de 30,00 euros pour la verte et la jaune et autour de 350 euros pour la VEP qui est un produit exceptionnel.

Voilà, j’espère que vous avez apprécié ce moment d’histoire teinté de mystère et de secrets sur une liqueur qui, à plus d’un titre, possède un caractère exceptionnel, une liqueur hors du temps, unique, qui ne peut se déguster qu’en ayant conscience de son histoire. Alors les moines vous diront qu’étant donné le nombre de plantes présentes dans la liqueur, il y en a toujours une qui va vous faire du bien. Mais les proportions sont telles qu’aucune ne peut vous faire du mal ! Je vous souhaite donc de prendre le temps de déguster un verre de Chartreuse et de pénétrer dans l’univers hors du commun des moines Chartreux, avec modération évidemment.

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