Madère, hors du temps…

Madère, hors du temps…

Bonjour à tous et à toutes, bienvenue sur Pod’Vins, votre podcast 100% Vins, mais pas que, je suis Arnaud, ravi de vous retrouver pour ce nouvel épisode, merci encore pour vos messages d’encouragements, ça fait plaisir, vous êtes de plus en plus nombreux à vous abonner sur les différentes plateformes d’écoute ou à consulter le site, c’est super cool donc on va essayer de continuer parce qu’il nous reste énormément de choses à voir.

Et parmi ces choses, il est un vin dont vous avez forcément entendu parler si vous êtes gastronome, parce qu’on l’utilise en cuisine, en sauce pour accompagner des rognons par exemple, même si aujourd’hui on va évidemment plutôt s’intéresser à sa version qualitative. Et ce vin, bon il n’y a pas trop de suspens puisque vous connaissez le titre du podcast, c’est le vin de Madère, qu’on appelle aussi simplement le Madère comme l’autorise son AOC.

Le vin de Madère tient son caractère unique en premier lieu de son extraordinaire terroir. L’archipel, de Madère bien entendu, se trouve à environ 1 000 kilomètres au sud-ouest de Lisbonne, au large des côtes marocaines, dans l’océan Atlantique, et comprend 2 îles, Madère, la principale avec sa capitale Funchal, et Porto Santo auxquelles s’ajoute un petit groupe d’ilôts non habités.

Ce sont des îles volcaniques, dont les sols de basalte sont riches en minéraux et qui ne permettent la viticulture que sur des reliefs pentus, puisque Madère est en quelque sorte un rocher au milieu de l’océan, des pentes qui peuvent aller jusqu’à 65% d’inclinaison. Et qui dit pente dit terrasses escarpées pour planter la vigne que l’on appelle ici des « poios« , soutenues par des murs de pierres sèches construits avec cette fameuse roche volcanique évidemment. Et sur ces terrasses, on retrouve des pergolas qui portent ici le nom de “latada”.

Et tout ça, sur 500 hectares environ.

A cela s’ajoute un impressionnant réseau de canaux d’irrigation, appelés levadas, sur plus de 2150 kilomètres qui achemine l’eau des montagnes jusqu’aux vignobles.

Car le climat de Madère est océanique, avec des étés chauds et humides et des hivers doux.

Il tombe en moyenne 3000 mm de pluie en altitude, et 500 mm, le long de la côte, surtout en automne et en hiver.

Une fois que l’on a planté le décor, parlons du vin. Ce qui le distingue des autres vins, c’est son processus de production particulier que je vais vous expliquer.

Mais d’abord c’est quoi le vin de Madère? Et bien c’est un vin doux naturel, fortifié et oxydatif, comme le Porto dont il est un peu le rival au Portugal mais dont la particularité est d’être chauffé dans le but de développer ses arômes.

Ainsi, pour faire du Madère, la première étape est donc de faire un vin fortifié. Ça, vous savez comment ça marche si vous suivez mes podcasts. Une fermentation classique démarre et on l’arrête volontairement par l’ajout d’alcool vinique à 96% quand le degré de sucre souhaité est atteint et ce dans le but d’obtenir 4 types de vins : sec, demi-sec, demi-doux et doux. Et au final, on obtient un vin à 17/22%. C’est ce qu’on appelle le mutage.

Mais c’est la seconde étape qui est intéressante. C’est la chauffe. Et comment les vignerons de Madère ont-ils eu l’idée de chauffer le vin?

Pour le comprendre, il faut remonter un peu dans le passé.

Les portugais découvent l’île en 1419 après s’être lancés dans l’exploration maritime, une île recouverte de forêts qu’ils appelent l’île du bois, «Ilha da Madeira» en portugais, l’île de Madère. Ils commencent à défricher les terres et à cultiver le blé, la canne à sucre et la vigne. Et commencent rapidement à faire du vin et même à l’exporter. D’autant qu’à cette époque, les européens découvrent les Amériques, le Brésil, l’Amérique du Nord, et la route vers les Indes.

Madère devient un port important pour le passage des navires sur les routes commerciales vers le nouveau monde, et on embarque le vin de Madère sur les bateaux, un vin qu’il faut fortifier pour qu’ils puissent tenir le coup pendant ces longues traversées.

Le vin est toutefois mis à rude épreuve, notamment avec la chaleur des fonds de cale au passage de l’Equateur ainsi qu’avec le tangage des navires, mais on découvre avec stupefaction que les invendus qui reviennent en Europe, sont encore meilleurs que les vins envoyés.

Les madériens sont pragmatiques et cherchent donc un moyen de reproduire ces conditions pour améliorer la richesse et la complexité de leurs vins. Tant qu’à faire…

Dans un premier temps, ils décident de faire faire à leurs vins une petite ballade autour du monde, c’est-à-dire de charger les bateaux non pas pour les acheminer en Amérique ou aux Indes mais simplement pour qu’ils reviennent meilleurs. C’est ce qu’on a appelé le «Vinho da Roda», une expression qui vient de « Vinhos de torna-viagem » (ce quin signifie “les vins font un voyage”) ou « Vinho da roda » (roda signifie tourner/rouler).

Le vin connaît un tel succès qu’il se raconte même que lors de la célébration de la Déclaration de l’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique, le 4 juillet 1776, le premier Président, George Washington, porta un toast avec un verre de vin de Madère.

Mais tout ce processus coûte cher et les producteurs de Madère se disent que peut-être, il est possible de reproduire le phénomène, mais sur l’île. C’est le début de la chauffe, inventée au milieu du XVIIIème siècle et encore utilisée de nos jours.

Plusieurs essais de réchauffement sont tentés en stockant les fûts dans des pièces équipées de tuyaux, amenant de l’air chaud histoire de recréer, avec la chaleur et l’humidité, un environnement subtropical. Puis tout cela se perfectionne pour conduire à deux procédés de chauffe utilisés aujourd’hui.

Le premier s’appelle le Canteiro (expression provenant du fait que l’on place les fûts sur des supports en bois appelés canteiros). Aujourd’hui, il s’applique plutôt aux vins Premium et consiste à stocker les vins en grands fûts de chêne (qu’on appelle des pipas), remplis à 90%, permettant ainsi au vin de s’oxyder plus rapidement. Les fûts sont placés dans des greniers ouverts ou sur les toits et ainsi exposés à la chaleur et à l’humidité.

Il s’agit donc d’un vieillissement oxydatif en fût qui permet aux vins de développer des arômes intenses et complexes. Et les vins de «canteiro» ne pourront être commercialisés que trois ans au moins après le 1er janvier de l’année suivant l’année des vendanges.

Mais les progrès techniques permettent aux vignerons d’utilser un système moins long et donc plus économique, l’estufagem. C’est un processus de chauffe contrôlé qui imite, disons, le voyage du vin à travers les mers.

Concrètement, le vin est placé dans une cuve et est chauffé par un système de conduit d’eau chaude, à une température moyenne de 50°c, chaleur qui doit persister pendant trois mois minimum. Le vin se refroidit ensuite de nouveau pendant trois mois. Les vins sont alors élevés en fûts de chêne pendant un minimum de trois ans et souvent plus longtemps selon le style de vin produit.

Ces deux méthodes de chauffe conduisent à tout un tas de réactions chimiques qui donnent au vin un profil aromatique beaucoup plus complexe duquel ressortent des arômes de fruits secs, de fruits confits (raisins secs, pruneau, figues, dattes), d’épices (vanille, réglisse, noix de muscade), des notes empyreumatiques (des notes toastées, de noisettes et d’amandes grillées), de chocolat, de cacao et de caramel, des notes résineuses (bois de cèdre, résine, cire), entre autre.

Aujourd’hui, en fonction du style de vins souhaités et de leurs possibilités économiques, les vignerons peuvent choisir l’une ou l’autre de ces méthodes. Mais ils doivent choisir également les cépages qu’ils souhaitent utiliser.

On dénombre beaucoup de variétés mais 4 cépages dits nobles, tous blancs, permettent de produire les Madère de qualité : le Sercial, le Verdelho, le Boal et la Malvasia. On utilise également un cépage rouge qui se nomme le Tinta Negra pour les Madères les plus simples et des cépages plus rares tels que le Terrantez, le Bastardo ou le Moscatel.

Et la particularité, encore une me direz-vous, c’est que chaque cépage produit un type de vin différent. Et ça c’est très important à savoir pour ne pas se tromper.

Les plus secs sont produits à partir de Sercial. Il est surtout cultivé au Nord de l’île, en altitude, jusqu’à 800m, ce qui lui permet de garder une importante acidité et une belle minéralité. Il est parfait en apéritif, sur des crustacés, sur des poissons grillés, des fromages de chèvres.

Les vins issus de Verdelho, que l’on trouve aussi beaucoup dans le Nord de l’ìle mais à plus basse altitude, sont des vins demi-secs. Ce sont des vins diposant d’une belle acidité mais avec un peu plus de corps que les vins issus de Sercial. Ils se boivent aussi à l’apéritif, également avec des produits de la mer, accompagnent bien les volailles, les fromages et même les desserts grâce à leur legère sucrosité. Mais un accord divin peut être celui d’un Verdelho et d’un foie gras. Pensez-y pour Noël si vous voulez faire votre petit effet.

Le Madère Boal ou Bual est encore un peu plus sucré, disons mi-doux, avec des nuances plus ambrées et des notes allant des fruits secs, des notes de noix, au chocolat et la vanille. Les raisins sont cultivés à une altitude qui varie de 100 à 300 mètres, plutôt sur le côté sud de l’île, plus chaud, ce qui lui confère un bel équilibre entre acidité et sucrosité. Ils accompagnent parfaitement la cuisine asiatique, un fromage bleu comme le Roquefort ou le Gorgonzola, un peu de la même façon qu’un liquoreux, un foie gras, pourquoi pas également ou bien sûr un dessert, notamment chocolaté.

Enfin, la Malvasia, cultivée plus près de la mer, est le style le plus doux et le plus opulent de Madère. Il s’agit clairement d’un vin sucré, aux arômes de miel, de café, de vanille ou de caramel, mais toujours avec cette acidité caractéristique des vins de Madère, qui rend ces vins parfaits sur des desserts.

Je ne vais pas m’étendre sur plus de cépages car ce serait trop long mais je voudrais juste dire un mot sur 2 autres variétés.

La première que vous pourrez rencontrer c’est le Terrantez qui donne des vins plus doux qu’un Verdelho mais plus sec qu’un Boal. Et le Tinta Negra, seul cépage rouge, issu du croisement du Pinot noir et du Grenache. C’est le cépage le plus planté de l’île, et pour cause il sert à produire les Madères de basse qualité, à partir, le plus souvent après une chauffe avec la méthode Estufagem. C’est ce genre de Madère qui est utilisé pour la cuisine et que l’on peut trouver en version sec ou sucré. Il représente quand même 80% de la production totale à Madère.

Donc ce qu’il faut retenir en tant que consommateur, c’est qu’en connaissant le cépage, vous avez une indication sur leur teneur en sucre et la richesse du vin.

Mais ce n’est pas fini. La plupart des Madères de qualité, issus des quatre cépages nobles et d’une chauffe naturelle, ont besoin de veillir pour développer leurs arômes complexes et se bonifier. Et le miracle des Madères, c’est que ce sont des vins indestructibles, qui traversent les époques sans sourciller. Ainsi, on les classe en fonction de leur durée de vieillissement. Vous avez des vins de 3, 5, 10, 15, 20, 30, 40, 50 ans, d’âge voire plus pour les très grandes bouteilles, avec ou sans indication de cépage.

Vous verrez Seleccionado, 3 ans d’âge, issu d’assemblage de différents cépages et élevé en cuve, Reserva, 5 ans d’âge, à partir d’un assemblage de vins dont une partie a vieilli en cuve, Velha Reserva, issu de cépages nobles et assemblé avec des vins ayant au moins dix ans d’âge et vieillis en fût, Reserva extra, idem avec quinze ans d’âge et cela peut aller jusqu’à 40, 50 ans d’âge.

Vous avez également deux Madères à part qui sont le Colheita, produits à partir d’une seule année et vieillis en fût pendant un minimum de cinq ans, 7 pour le Sercial. Et le nec plus ultra qui est le Frasquiera, un Madère millésimé mono-cépage qui nécessite un minimum de 20 ans de vieillissement en fût mais dans les faits bien plus.

Aujourd’hui, il reste une poignée de maisons qui produisent du Madère mais qui en revanche achètent les raisins à de nombreux petits producteurs l’île. Les marques les plus connues sont Blandy’s, Henriques & Henriques, H. M. Borges, Barbeito, D’Oliveiras, Justino’s ou encore Cossart Gordon.

Les vins de Madère sont sans doute les vins au monde qui traversent le mieux les années. Un Madère de grande qualité, un Frasqueira, peut se conserver des siècles, stocké debout et non couché comme la plupart des autres vins afin d’éviter que l’alcool ne détériore le bouchon. Toutefois, les vins jeunes, de 3 à 5 ans d’âge, doivent être bus jeunes et ceux qui ont entre 10 et 15 ans peuvent vieillir relativement bien.

En revanche, une fois ouvert, un Madère peut être conservé un an maximum dans de bonnes conditions.

Cela fait donc des vins de l’île portugaise, des vins exceptionnels, legendaires, auquel s’ajoute une expérience de dégustation hors norme.

Et vous l’avez compris, il n’existe pas un type de Madère mais une grande variété en fonction de son profil aromatique, de sa couleur, d’or pâle à acajou foncé, de sa sucrosité, de sa rondeur ou sa durée de vieillissement. Il y a une dénomination pour chaque caractéristique. Et bien sûr en fonction de son prix. Car vous pouvez trouver des vins de grande qualité à prix raisonnable comme des bouteilles exceptionnelles que s’arrachent les amateurs ou collectionneurs.

Vous avez donc maintenant toutes les clés pour faire votre choix et surprendre vos convives, avec modération évidemment.

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