Bonjour à tous, bienvenue sur Pod’Vins, votre podcast 100% Vins, mais pas que, je suis Arnaud, j’espère que vous allez bien, c’est parti pour un nouvel épisode qui nous emmène en Hongrie puisque nous allons parler d’une fabuleuse région de vins, c’est bien sûr Tokaj.
Le vignoble de Tokaj, nommé ainsi d’après le village du même nom, plus au moins au centre de la région, se trouve à environ 200 km au Nord-Est de Budapest, au pied de la chaîne des Carpates. Il s’étend sur 87 kilomètres de long et trois à quatre kilomètres de large, entre deux rivières dont on reparlera plus tard, la Tisza et la Bodrog. D’ailleurs, sachez que Tokaj signifie Confluence.
Le Tokaj est donc un vin hongrois et il est tellement important pour ce pays qu’il y est fait référence dans l’hymne national, ce qui est unique au monde pour un vin à ma connaissance. Cela mérite bien une petite lecture du passage :
Tu fis onduler, à l’instar
Des mers, les épis dans nos plaines,
Et tu permis que du nectar
De Tokaj nos coupes soient pleines.
Mais la région d’appellation contrôlée Tokaj s’étend également sur une petite partie de la Slovaquie voisine. Et c’est dû à des raisons historiques.
La Slovaquie, qui à l’époque faisait partie de la Tchécoslovaquie et qui est devenue indépendante en 1993, était historiquement une province du royaume de Hongrie. Au moment du démembrement de l’empire austro-hongrois en 1918, une partie du vignoble de Tokaj se retrouve donc en Slovaquie.
Bref, tout ça donne lieu à des disputes entre les deux voisins pendant de nombreuses années mais un accord est trouvé en 2004, donc c’est plutôt récent, qui autorise les viticulteurs slovaques d’une petite région d’environ 1000 hectares, soit 7 villages, à produire du Tokaj.
Pour certains, il peut également y avoir une certaine confusion qui faut balayer tout de suite entre le Tokaj et le Pinot Gris d’Alsace.
Alors on ne va pas s’attarder sur les raisons historiques de cette confusion qui sont d’ailleurs toujours aujourd’hui un petit peu confuses, toujours est-il que le vin alsacien s’est appellé Tokay d’Alsace puis Tokay Pinot Gris puis Pinot gris aujourd’hui, et ce alors même que les cépages à partir desquels on produit le Tokaj n’ont rien à voir avec le Pinot Gris.
Depuis 1984, la commission européenne a accordé l’exclusivité de l’appellation Tokaj à la Hongrie et la Slovaquie, mais ce n’est entré en vigueur qu’en 2007 après une période transitoire.
Le vignoble s’étend sur 5 500 hectares environ sur lesquels on fait des vins secs mais surtout des vins liquoreux célèbres dans le monde entier.
La région de production du Tokaj est superbe et elle est même inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2002 du fait de sa longue histoire viticole et de la beauté de ses paysages.
Les vignes se situent sur des pentes exposées Sud, à une altitude entre 150 et 300 m d’altitude.
Le sol est d’origine volcanique et recouvert d’argile mélangés à des graves volcaniques.
Six cépages sont autorisés. Une superstar qui est le Furmint, le plus important de la région, il couvre 60% de la superficie. C’est un cépage très adapté au développement de la pourriture noble et qui a cette faculté de conserver une belle acidité même, botrytisée.
Ensuite l’hárslevelű, qui couvre 30% de la superficie.
Et enfin, le sárga muskotály (c’est le Muscat blanc á petits grains), le kövérszölö, le zéta (que vous pouvez voir sous le nom d’oremus) et le Kabar, qui sont plus confidentiels.
En général, les Tokaj sont des assemblages de ces cépages.
Venons-en aux vins mais avant il faut un peu parler du climat et surtout du micro climat.
Le climat est continental tempéré donc avec des étés chauds et secs et des hivers froids. Les précipitations ne sont pas très importantes et la région jouit d’une belle arrière-saison, avec des automnes longs et secs, ce qui est idéal pour un cépage à maturation tardive comme le Furmint.
Et ce qui va se passer pendant cette arrière-saison, c’est essentiel à comprendre pour comprendre les vins de Tokaj. En fait, c’est le même phénomène qu’à Sauternes.
L’humidité des 2 rivières et de leurs affluents remonte sous forme de brumes. Un épais brouillard matinal recouvre les vignes, qui combiné à des phases de chaleur, favorise le développement d’un champignon qu’on appelle le Botrytis Cinerea. Ce champignon perçe les grains de raisins, ce qui a pour conséquence d’expulser un partie de l’eau contenue à l’intérieur de la baie, les grains se flétrissent et prennent une couleur un peu marron/grisâtre. D’ailleurs Cinerea vient du latin et signifie cendre car les raisins sont comme couverts de cendres.
Il s’agit de pourriture mais dans ce cas d’une bonne pourriture que l’on qualifie de pourriture noble. Sous l’effet de cette pourriture, les raisins finissent par se concentrer en sucres et c’est pourquoi on vendange à la main, grain par grain, ou grappes part grappes, en plusieurs passages successifs, 3, 4, 5, 6 passages des grains de raisins ultra sucrés, ultra concentrés qui permettent de faire des vins liquoreux, des vins sucrés.
Plus on va avancer dans l’automne, plus on aura de baies atteints par la pourriture noble. Les vendanges se poursuivent donc assez tard, jusqu’à mi-novembre.
Ce qui signifie, qu’à Tokaj, on produit des vins secs, plus ou moins secs jusqu’à des vins très liquoreux en fonction de la quantité de baies passerillées, ici sur souches, c’est à dire séchés sur le cep de vigne et la quantité de baies botytrisées que l’on incorpore dans le vin.
La gamme commence donc par des vins secs, produits avec des raisins mûrs comme dans n’importe quel vignoble. On est sur des arômes de zestes de citron, de coing, de pomme notamment.
Lorsque le raisin mûrit encore un peu plus, les baies finissent soit par passerillées soit par se couvrir peu à peu de pourriture noble. Les raisins vendangés à ce stade permettent de produire soit des vendanges tardives soit un vin qu’on appelle le Szamorodni, ce qui signifie « tel quel ». En gros, on ramasse les grappes tel quel.
Il en existe 2 types, le Tokaji Szaraz qui est un vin sec produit à partir de grappes très mûres mais saines, élevé en fût en partie sous un voile de levure comme le vin jaune ou le Jerez, je vous renvoie au podcast sur l’Arbois si vous voulez en savoir plus sur ce type de vins, et il y a le Tokaj Edes, un vin doux élaboré à partir de grappes contenant un grand nombre de grains botrytisés.
En attendant encore un peu que le Botrytis fasse son œuvre, il est possible de ramasser des grappes très botrytisées. Les baies de ces grappes sont pratiquement sèches et ont une consistance pâteuse. On les appelle les baies aszú. Elles sont impossibles à presser directement et doivent être incorporées à du vin sec de base. Le mélange macère 2 ou 3 jours en général puis est pressé et élevé en fûts traditionnels de 136 litres qu’on appelle des « Gönci ».
Plus on met de baies aszú dans le vin, plus le vin va être doux et sucré. Et cette douceur, elle s’exprime en Puttunyos.
Une unité de Aszú équivaut à 25 kg, c’est à dire à la mesure historique d’une hotte, qu’on appelle Puttony en hongrois.
Donc en résumé, plus on ajoute de hotte, plus le vin va être sucré.
Historiquement, on classait les vins de 2 puttonyos à 6 puttonyos mais depuis 2013, il n’existe plus que le Tokaj de 5 et 6 puttonyos,
Et à chacun de ses vins correspond une quantité définie de sucres résiduels.
-Aszú 5 puttonyos > 120 g/l;
Aszú 6 puttonyos > 150 g/l.
Donc je récapitule, si vous voyez une bouteille de Tokaj Aszu 5 puttonyos, cela signifie qu’on a fait macérer du vin de base avec l’équivalent de 5 hottes de baies séchées.
Les vins Aszu doivent vieillir au moins 18 en fûts et ne peuvent être commercialisés qu’en janvier de la 3ème année suivant les vendanges avant d’être vendues en bouteilles de 50 cl.
Enfin, vous avez le top, ce sont les Ezcensia. Ce ne sont pas des Tokaj Aszu bien qu’élaborés exclusivement à partir de raisins atteints de pourriture noble, parce qu’ils sont produits d’une manière différente. Sous le propre poids des raisins, un nectar très riche en sucre (sa concentration est comparable à celle du miel) s’écoule et est recueilli dans des fûts où il reste de nombreuses années. Compte tenu de la forte concentration en sucre, la fermentation, qui est très lente, s’arrête généralement tôt, donnant une très faible teneur en alcool, il n’atteint que rarement plus de 2% ou 3% d’alcool pour 450 à 900 g/L de sucres résiduels.
Il ne s’appelle vin que grâce à une dérogation européenne car la définition d’un vin c’est un minimum de 8,5 degrés.
Attention, il ne faut pas confondre les Ezcensia dont on vient de parler avec les Aszú Eszencia, une mention qui n’est plus autorisée mais qui désignait un vin au-delà de 6 puttonyos.
Les Aszu sont donc des vins sucrés, de véritables nectars á la couleur dorée qui leur a même valu le titre de « vin des rois, roi des vins » par Louis XIV en personne. Ils ont cette capacité à garder une belle acidité pour contrebalancer la richesse du vin et pour que l’ensemble garde un certain équilibre et un bonne buvabilité.
Ils présentent des arômes d’abricot, de prune, de pêche ou encore d’orange ou de miel, d’épices, de résine et de noix.
Pour moi, ils doivent être bus pour eux-mêmes ou accompagner une salade de fruits ou une tarte aux fruits.
La température idéale de service se situe entre 10 et 12°C.Tous ces vins peuvent être consommés jeunes. Cependant, ils gagnent en complexité avec le temps.
Les vins de Tokaj sont des vins chers vous vous en doutez. Les coûts de production sont très élevés. Il faut le travail de 3 personnes par jour pour ramasser une cagette de 20kg de raisins par exemple. Ajouté à cela que certaines années, quand les conditions météorologiques sont défavorables, il n’est pas possible de produire certaines cuvées.
On produit d’autres types de vins comme les Forditas, les Maslas et même des effervescents, mais je vous en fais grâce aujourd’hui pour ne pas compliquer les choses.
Jusqu’en 1989, la production est un monopole d´état, on est sous l’ère communiste et les vins alimentent surtout la Russie qui a besoin de grandes quantités. Donc la qualité n’est pas forcément la priorité des viticulteurs.
La fin du communisme marque l’arrivée d’investisseurs étrangers qui vont permettre en quelques sortes la renaissance du vignoble de Tokaj et en faire ce qu’il est aujourd’hui.
Il y a des domaines célèbres comme Disnoko (qui qppartient à AXA), Patricius, Dobogo, Oremus (qui appartient à Vega Sicilia), Pajzos, Hetzolo, Samuel Tinon (un français parti s’installer là-bas au début des années 90) et bien d’autres…
Voilà, vous êtes incollables sur les Tokaj, alors c’est sûr on en boit pas tous les jours mais quand l’occasion se présente c’est toujours un vrai régal voire presque un privilège lorsqu’il s’agit d’Eszencia.
Lors du prochain épisode, nous reviendrons en France, du côté de l’Est. D’ici là, soyez sage et buvez avec modération.